Mali: le bazin, plus qu’un tissu, une industrie
Pendant que vous lisez ce billet un tas de monde fourmille sous un soleil ardent au marché rose de Bamako. Parmi eux, des femmes se faufilent entre les petites ruelles du marché à la recherche d’un tissu. Le bazin. Pourquoi vont-elles jusqu’au grand marché de Bamako? Parce qu’il y’a bazin et bazin diront-elles. Et quoi de plus que le bazin « Gagny Lah ». Du nom du grand commerçant « Gagny Lah » décédé ce mardi 17 Mai 2016.
(Le) Gagny Lah, le père d’une étoffe
Je ne saurais vous donner ni son âge exact ni quand et comment Gagny Lah a fondé son entreprise. Je ne prétends pas être un « bazinnologue ». Mais à Bamako tout fini par se savoir. Il est de notoriété publique que Gagny Lah a commencé modestement, en imposant son nom au bazin qu’il importait d’Allemagne. Et oui Bamako capitale du bazin, mais ce tissu est bel et bien importé ! Le succès fut tel que le nom « Gagny Lah » et la marque ne font plus qu’un. Ainsi commença « la bazin story » de Gagny Lah. Les griottes à la peau douce et à la voix mielleuse ne jurent que par ce tissu. C’est le bazin par excellence, celui qu’il faut porter pour être vu. Et pour ceux qui veulent être vu, reconnu et pointé du doigt, le bazin doit passer par certaines étapes. Je me ferais un plaisir de vous les expliquer.
Acheter son tissu bazin
Un seul lieu, le marché rose. Ne vous fiez pas au nom du marché, tout n’y est pas rose. Quelques conseils d’usage s’imposent : ne jamais sortir son porte-monnaie et ne jamais dire ce que l’on cherche aux personnes qui vous le demandent. En général, ce sont des « cocsseurs », ils vous emmènent dans une quelconque boutique, augmentent le prix des articles pour gagner plus d’argent. Du coup les articles vendus par les « cocsseurs » coûtent plus cher que la norme. Au beau milieu du marché, le restaurant « Tantie j’ai faim ». Maman m’avait bien expliqué le chemin. La boutique se trouve dans la première ruelle à droite après le restaurant. C’est ici. Sur l’enseigne « vente de bazin ». Derrière le comptoir, Yattasaye un jeune d’une vingtaine d’année. Habillé en bazin bleu. Avec une montre assortie au poignet. Apres quelques minutes à faire la queue, nous voici devant le jeune homme. Il nous explique les différentes catégories de bazin. Le bazin riche, dont le prix du mètre varie entre 5.000F CFA et 6.000 F CFA. Le bazin moins riche, entre 3.000 et 4.500 FCFA et le bazin industriel dont le prix du mètre dépasse à peine les 2.000f CFA. Ce dernier est le dernier des bazins. Il est aussi appelé « kleenex » parce qu’il suffit de le laver une seule fois pour que ce bazin soit déteint. Pour un ensemble homme il faut acheter au moins 4 mètres de bazin. Pour les femmes 3 à 4 mètres suffisent. C’est selon les modèles. Le bazin est vendu tout blanc. L’étape suivante diffère selon les moyens. Pour ceux qui veulent porter le bazin blanc, ils vont directement chez le tailleur. Mais pour ceux qui ont les moyens or de question de porter le bazin sous la couleur embryonnaire.
Chez la teinturière
La teinturerie est un art. La réussite d’un bon bazin passe forcément par elle. Elle est généralement pratiquée par des femmes. On les aperçoit au loin, des dizaines de bassines les unes à côté des autres, mains dans les gants et masques sur le visage, elles plongent le bazin dans un liquide. Le tissu ressort baptisé avec un nom nouveau, fisha, indigo, bagakènè(bleu clair), style bougie, ou que sais-je encore. Le style bougie est très apprécié. C’est un motif qui permet d’avoir plusieurs styles sur un même tissu. Le bazin passe ensuite sur les fils pour sécher.
Un tour chez le tapeur de Bazin
Le bazin se métamorphose et devient encore plus beau, avec une couleur éclatante. Direction le marché de Magnambougou, un quartier sur la rive droite de Bamako. Ce marché est affectueusement appelé « Ala minè sougouni », ce qui veut dire : le marché où l’on s’en remet à Dieu. Le prix des articles du marché est tellement cher que les clients s’en remettent à Dieu pour faire leurs achats. Le bruit des tapeurs de bazins rythme le marchandage des clients du marché. Une dizaine de cabane en bois, le toit plombé de paille et de plastique forme la colonie des tapeurs. Ce sont exclusivement des hommes avec une forte clientèle féminine. Sous la cabane, deux hommes assis, le dos courbé avec des bras bien musclés, sur leur front, une tonne de sueur cherche désespérément à se frayer un chemin. Ils tiennent entre les cinq doigts un énorme morceau de bois en forme de marteau dont le bout est gros et arrondi. Le bout de bois s’élève et tape le bazin impuissant, posé en bas sur un support également en bois. Pour être beau il faut souffrir et le bazin n’échappe pas à la règle. Les tapeurs de bazin sont comme des blanchisseurs traditionnels mais avec quelque chose en plus. Ils tapent le bazin pour lui donner une forme et le rendre plus brillant avec des techniques. On raconte que les plis de certains bazin sont tellement bien faits qu’ils peuvent égorger un margouillat.
Le coup de ciseaux final
La rivalité entre les tailleurs est aussi tranchante que leur paire de ciseaux. Les nouveaux modèles voient le jour au gré des derniers clips de tels artistes célèbres ou de l’apparition de tel personnage public. Ce qui est sûr c’est qu’il faut avoir son modèle en tête et amener son bazin chez le tailleur plusieurs semaines avant la cérémonie. Les mauvaises langues disent que les tailleurs ne respectent jamais les rendez-vous. D’ailleurs, lors des fêtes de tabaski (Eid El Kebir, fête musulmane), qui n’a jamais vu une cliente convoquer son tailleur à la police parce que ce dernier n’avait pas honoré son rendez-vous.
Devant le miroir:
Voilà, le bazin est prêt. Comment me trouvez-vous ?
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